L'oisif mai 2021

3 éditorial E lle est partout et pourtant elle est si mal répartie; l’eau qui est à la base de la vie commence à manquer dans les pays au climat aride. Ce qui vaut à la Terre le surnom de planète bleue est peut-être en fait un mirage, puisque la plupart de l’eau que nous voyons du haut du ciel est de l’eau salée, impropre aux besoins de l’Homme. Toutefois, la cadence de consommation semble s’am- plifier, la population croissante partout dans le monde épuise les ressources en eau douce. Au Québec, tout cela peut sembler lointain grâce à nos grandes ré- serves d’eau potable. Et pourtant, aussi proche que sur le continent nord-américain, la situation s’ag- grave. Les États du sud-ouest des États-Unis, comme la Californie, manquent d’eau douce. Les chan- gements climatiques amplifient les sécheresses déjà présentes dans la région. Ayant la plus forte popu- lation et produisant plus de 50 % des fruits et légumes de tous les États-Unis, son besoin est critique. D’ailleurs, de 2011 à 2016, la Cali- fornie a vécu une des plus grandes sécheresses de son histoire, cer- tains calculs prouvant même que le sol n’a jamais été aussi sec depuis 1200 ans. Pour l’instant, deux solutions sont envisagées pour résoudre ce pro- blème : utiliser l’eau souterraine et désaliniser l’eau de mer. Premiè- rement, en Californie l’eau sou- terraine est utilisée, elle constitue déjà près de 40 % de son appro- visionnement. Cependant, cette source d’eau s’épuisera à plus ou moins long terme, car ce sont des réserves qui se sont accumulées au cours de milliers d’années. Deuxièmement, toujours en Cali- fornie, il existe 11 usines de désa- linisation; dans certaines régions, jusqu’à 10 % de l’eau utilisée pro- vient de cette désalinisation. Tou- tefois, ce procédé est très coûteux pour l’État, son coût se situe entre 0,93 $ et 1,24 $ le mètre cube, tout dépendant la difficulté de l’extrac- tion. Ainsi, la solution logique pour les États-Unis afin de résoudre ce problème se trouve au nord. Le Canada dispose de 21 % des res- sources d’eau douce du monde. Depuis les années 60, des projets sont étudiés pour approvisionner en eau douce, à partir du Canada, les États américains désertiques; aucun n’a abouti. Au fil des ans, le dérèglement climatique et l’augmentation tou- jours croissante de la population sur la planète bleue annoncent des pénuries de plus en plus grandes d’eau potable dans plusieurs zones du globe. Néanmoins, le Québec, pourvu de milliers de lacs et de rivières, pourrait tirer son épingle du jeu, possédant près de 3 % des réserves d’eau douce renouvelable du monde. Autrement dit, c’est de l’eau renouvelée qui provient des pluies et de la fonte de neige et qui s’écoule des terres pour finir dans l’océan, elle suit alors un cycle. Selon la Politique nationale de l’eau du Québec parue en 2002, les réserves d’eau douce renou- velable du Québec représentent 990 milliards de mètres cubes par année. En 2018, les compagnies d’embouteillage d’eau payaient 70 $ le million de litres, soit 0,07 $ le mètre cube, ce qui est extrême- ment bas comparé au coût de 2 $ le mètre cube en Italie, pourtant l’un des plus bas taux en Europe. Ainsi, en vendant seulement 12 % de ses réserves d’eau douce renouve- lable par année, au coût de 0,60 $ le mètre cube, le Québec engen- drerait un revenu brut annuel de 71,8 milliards de dollars. Prenant en compte le fort coût de la désa- linisation en Californie, qui à son niveau moyen coûte plus de 1 $ le mètre cube, c’est une opportuni- té d’affaires plus qu’avantageuse pour les deux États. En nationalisant la vente d’eau destinée à l’exportation et en in- vestissant cette source de revenus dans des fonds pour les prochaines générations, le Québec, déjà un acteur important, pourrait accé- lérer sa transition écologique tout en aidant les régions du monde aux prises avec un manque criant d’eau potable. Cela reste une brève analyse du potentiel d’enrichisse- ment possible grâce à notre res- source d’eau douce, qui fait déjà notre renommée à l’international grâce à notre hydro-électrici- té. Enfin, les prochaines années seront capitales pour la joute politique mondiale de l’eau et le Québec aura tout à gagner à en être un des acteurs principaux. De l’or noir à l’or bleu poussée inflationniste… Oh, ai-je mentionné qu’on est enfargés au sein d’un État canadien pétrolier qui nous méprise et limite nos aspirations, et qu’on est trop peu- reux pour bouger? Eh pis aussi, aurai-je oublié la Loi sur les In- diens de 1876 toujours en vigueur? Ok, ok, c’est assez. De toute façon, si vous avez suivi minimalement l’actualité dans la dernière année, vous comprenez le beau portrait que j’esquisse. Ce portrait, proba- blement décourageant, me semble néanmoins le plus franc possible. Il mène à quelques conclusions sommaires sur lesquelles nous devrions nous entendre. La pre- mière, c’est qu’il serait naïf de croire en un certain discours am- biant suggérant qu’un regain de fierté québécoise et une « relance verte » suffiront à panser nos bles- sures et renouer de confiance en l’avenir. La deuxième, c’est qu’il faut re- construire. Dieu qu’il faut recons- truire. Je ne parle pas de nos routes (même si ce serait bien aussi), je parle de reconstruire la société sur de nouveaux paradigmes. C’est sûr que c’est vague dit comme ça, il faut dire que je n’ai pas de projet de société esquissé à mettre sur la table. Mais nous sommes nom- breux à avoir des pièces de casse- tête individuelles qui formeraient un tout qui se tient. Commençons par orienter nos esprits à l’audace, parlons-nous entre nous, et l’in- telligence collective devrait bien finir par structurer le tout, si nous y mettons l’effort. On se le mérite bien, non? Une société à hauteur d’homme, rebâtie par le peuple et non par des idéologues patentés et des opportunistes qui parlent comme des vendeurs de chars, il me semble qu’elle serait plus forte, harmonieuse, résiliente, et qu’elle ne serait pas autant vulnérable à l’humiliation. Ainsi, lorsqu’arri- verait la prochaine crise, lorsqu’on nous remettrait à nu, on verrait inévitablement des bobos, mais on se dirait qu’au moins, il y a de quoi rester fier et confiant dans l’œuvre dans son ensemble. Photo Pixabay CLOVIS VALADE Sciences humaines

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