L'oisif mai 2021

2 éditorial « L’oisiveté est la mère de la philosophie. » – Thomas Hobbes Le terme oisif, dérivé de l’oisiveté, est d’abord associé à la paresse. Pourtant, dans la Grèce antique, l’oisiveté avait une tout autre définition: elle était associée au temps libre du citoyen. Selon Sénèque, l’oisiveté permettait avant tout de se reposer, de méditer et surtout, de s’informer. De toute façon, qu’y a-t-il de mal à faire preuve d’un peu de paresse? Cette quatrième édition de L’Oisif est le fruit du travail d’étudiants de différents programmes au Cégep de Chicoutimi. Le journal a été relancé à l’automne 2018. La dernière édition du journal étudiant avait alors été publiée en 2009, sous le nom de La grenouille . Pour nous joindre: journal@cchic.ca Il va sans dire, la maudite pandé- mie, que nous sommes tous à bout de subir, a marqué et marquera nos vies à jamais. Depuis plus d’un an, elle est au centre de tout. Inévi- table, elle est venue frapper au cœur de tant de choses que nous, jeunes, prenions pour acquises, naturelles, inviolables. Mention- nons ne serait-ce que nos relations socio-affectives, l’accès à un mi- lieu d’éducation motivant, l’accès à la chaleur humaine, l’accès à la fête. Alors que nous sommes pré- cisément dans la phase de nos vies où ces expériences sont essen- tielles, le coup porté a été d’autant plus douloureux. Décrochage, dé- motivation, désorganisation, dé- sengagement, détresse psycholo- gique… Diverses formes de « dé » se sont multipliées parmi nous lors de la dernière année. Tout amochés que nous sommes après plus d’un an de cette merde, nous voici, ENFIN, face à des rai- sons de se réjouir et espérer. L’arri- vée de l’été, le déconfinement et la vaccination massive, entre autres, nous permettent de croire en une sortie de l’abysse. ENFIN, nous disons-nous, nous pouvons enfin baisser la garde, et simplement profiter un peu de la vie. C’est ce que je compte faire cet été, et c’est ce que je vous souhaite également. Cependant, je ne peux m’empê- cher de rester préoccupé. Le coup que la pandémie nous inflige est en train de s’estomper, certes, mais il nous force néanmoins à dresser le constat suivant : en fin de compte, nos sociétés ne sont pas aussi fortes, stables, harmonieuses et résilientes qu’elles n’y paraissent. Un stupide virus submicrosco- pique a paralysé, puis réorienté les forces productives et le rythme in- cessant d’une civilisation orgueil- leuse qui se croit toute-puissante et capable de croître indéfiniment. L’humiliation est profonde. Car malgré que, bien évidemment, on soit en train de s’adapter (insérer ici des emojis arc-en-ciel ou toute autre expression d’angélisme), il faut admettre que le prix payé pour ladite adaptation est un sacré bordel. 2020 nous a mis à nu, et nous voilà forcés de voir toutes les plaies béantes et les cicatrices pro- fondes qu’on essaie tant bien que mal de mitiger. Assez d’abstraction, allons concret. Des centaines d’évène- ments ou portraits pourraient nous amener au même constat de grande humiliation, en voici quelques-uns : la précarité des chaînes d’approvisionnement ré- sultant d’une mondialisation ul- tralibérale; la mise en veilleuse du système démocratique; la remise quasi aveugle de nos vies entre les mains des scientifiques qui, malheureusement, avancent sou- vent eux-mêmes à tâtons; la mise en évidence de l’incapacité des institutions de convaincre ration- nellement les individus et, consé- quemment, le recours constant à des techniques de marketing, ou pire, des mesures politiques liber- ticides; la montée en puissance et l’affrontement d’idéologies pathé- tiques et destructrices; l’obsession sanitaire contre le conspiration- nisme, le « wokisme » contre le néo-duplessisme; la surcharge rapide de nos services publics, au premier chef la santé et l’éduca- tion; la précarisation des classes populaires, des affreux taux d’en- dettement moyen des ménages en passant par l’inaccessibilité de l’immobilier. Poursuivons avec la hantise du spectre du fascisme ou, mini- malement, du trumpisme (après l’insurrection du 6 janvier dernier à Washington, peut-on raison- nablement déduire que c’est du pareil au même?); notre éternelle incompétence face aux change- ments climatiques malgré le qua- si-consensus sur la gravité de la situation; la désormais inévitable hausse drastique du climat, pro- mettant aux prochaines décennies un chaos d’une violence inima- ginable; la chute drastique des taux de natalité, on se demande pourquoi; une pyramide des âges débalancée qui est de plus en plus difficile à soutenir; une vision des immigrants comme des nu- méros ou des « communautés » distinctes et non comme de vrais compatriotes-en-devenir; l’inca- pacité à régler intelligemment nos complexes identitaires…menant notamment à une incapacité de régler intelligemment le problème du racisme systémique; Ajoutons une mentalité court-termiste et boueuse du développement, en- lisée dans le XXe siècle, qui ne veut pas mourir entre un GNL par-ci, un troisième lien par-là… La possibilité bien réelle d’une RENAUD DUVAL Rédacteur en chef ÉDITORIAL La grande humiliation

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