L'oisif mai 2021
10 arts Q : À quoi ressemble une se- maine normale dans ta vie, dans une réalité où la COVID n’est pas encore dans nos vies? R : Pour moi, COVID ou pas, ça ne change pas grand-chose dans ma pratique. En fait, il y a une chose qui a changé; parfois les enseignants de cégep et d’université mettent mes livres au programme et font des travaux à partir de ça, donc avant, je me déplaçais et j’allais dans les écoles rencontrer les gens. Mainte- nant, je ne me déplace plus, c’est sur Zoom, comme pour tout le monde. Sinon, moi, je suis beaucoup dans l’écriture; par exemple, en ce mo- ment, j’écris pour un scénario de film. Donc, en général, je suis pas mal toujours devant mon ordi. Q : Est-ce que le fait d’être tou- jours devant ton ordinateur, coincée à lamaison à cause de la pandémie, ça a influencé ta manière de créer? Est-ce que ça a eu un impact sur ta créa- tivité? R : On dirait que je ne me sens pas coincée chez moi parce que je suis dans un petit village, donc j’ai accès à la forêt, la montagne, facilement. Donc, ce n’est pas si mal. Cepen- dant, on dirait que ça ne me tente pas tant que ça d’écrire de la poésie parce que pour écrire quelque chose, il doit se passer quelque chose dans ma vie. Souvent, en poésie, j’écris parce que je suis allée me promener et que j’ai vu ou entendu quelque chose, comme une expression que je ne connaissais pas, par exemple. Puisque le monde n’est plus aussi vivant, puisqu’on s’est un peu ren- fermés sur nous-mêmes, ça ne me tente plus autant d’écrire de la poé- sie en tant que telle… J’écris quand même, je travaille sur d’autres pro- jets qui ne me demandent pas la même contemplation. J’écris des choses de type plus narratif, qui ra- content des choses. Q : Crois-tu qu’en ces temps difficiles, lacréativité,c’estune force? Que ça aide à passer à travers les moments plus dif- ficiles? R : Je pense que oui, parce qu’on continue à être stimulés. Les projets, ils n’ont pas arrêté ; au contraire, il y en a de plus en plus! Je suis choyée d’avoir ce métier qui me permet d’être toujours en mode créatif! En même temps, l’inspiration ce n’est pas toujours quelque chose de facile. Il faut s’arrêter et s’asseoir pour ré- fléchir. Quelquefois, je dois écrire un texte et je m’assois pour m’y mettre juste deux jours avant de le remettre et ça fonctionne d’un coup sec, tandis que d’autres fois ça me prend des semaines. Ça dépend du temps et il faut accepter que parfois ce soit facile et d’autres fois moins. Q : As-tu toujours su que tu al- laisêtrepoétesse, que tuallais écrire pour vivre, ou c’est arri- véd’unhasard? R : Je n’ai pas toujours su, mais par- fois je regarde des vidéos de quand j’étais jeune et que mon père me filmait et je le vois que je voulais faire mon petit show et prendre la caméra, donc je pense que j’avais déjà l’envie de m’exprimer, de communiquer et tout ça. Sinon, j’ai toujours eu de la facilité en français et mes professeurs me disaient tou- jours que j’allais aller loin, donc ça devait sûrement m’enligner, sans que je m’en rende compte, dans cette lignée-là. Je crois que tout s’est vraiment joué dans le début de ma vingtaine, quand j’ai commencé à lire plus de livres et de la poésie. J’ai étudié un peu en cinéma, en sciences politiques, mais finalement j’ai choisi la littérature. En cinéma, il faut toujours travailler en grosse gang et j’aimais mieux travailler seule, donc je me disais que la voie qui me ressemblait le plus c’était la littérature. C’est ma manière de m’exprimer. L’écriture, c’est un peu comme mes pantoufles ; c’est confortable et naturel. Q : J’ai écouté Je m’appelle humain , le documentaire ré- alisé par Kim O’Bomsawin, où tu partages l’écran avec la poétesse Joséphine Bacon. Votre relation m’a vraiment marquée. Malgré votre diffé- rence d’âge importante, vous semblez avoir une connexion spéciale. Peux-tumeparlerde cette relation-là? R : Bien sûr! La première fois que je l’ai rencontrée, c’était dans un évè- nement à Port-au-Prince où plein d’écrivains étaient invités. Par la suite, on a continué à se voir dans d’autres évènements où nous étions toutes les deux invitées et on trip- pait. Donc, naturellement, chaque fois qu’on était invitées quelque part, on s’organisait pour que l’autre soit toujours invitée aussi, pour se voir. Ça s’est construit comme ça, tout naturellement. Chaque fois, on avait de longues conversations et on allait profondément dans différents sujets. Quelquefois, tu as comme un coup de cœur amical et c’est un peu ça elle et moi. En plus, elle a des filles d’exactement mon âge et elle a habité à Mashteuiatsh, d’où je viens, donc on est liées de plein de manières comme ça. On s’apprécie beaucoup. Chaque fois que j’ai l’oc- casion de parler d’elle à quelqu’un, je suis contente de le faire et je sais qu’elle aussi. Elle dégage quelque chose de spécial. Sa manière de ra- conter, de parler, est spéciale et ça fait du bien. Portrait d’une artiste régionale MARIE-ANDRÉE GILL Marie-Andrée Gill est une poète de la région, originaire de Mashteuiatsh. Elle est l’auteure de trois recueils de poésie publiés aux Éditions de La Peuplade. En plus d’être étudiées dans les collèges et universités de la province, deux de ses œuvres ont remporté le Prix lit- téraire Poésie du Salon du livre du Saguenay-Lac- Saint-Jean : Béante , en 2013 et Frayer , en 2016. Son dernier recueil, Chauffer le dehors , est paru en 2019. Le 26 mars dernier, L’Oisif a eu l’opportunité de s’en- tretenir avec la talentueuse écrivaine. ANNABELLE PICHÉ Arts, lettres et communication ENTREVUE
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